On emploie souvent les termes d’esprit critique ou de rationalisme dans nos contenus, mais on a pas toujours l’occasion de les définir. Et surtout, ce sont des termes souvent utilisés avec des significations différentes pour les uns et les autres.
On vous propose donc ici de voir quelle définition nous on utilise dans notre association.
Pensée critique
La notion de pensée critique ou d’esprit critique possède beaucoup d’interprétation, y compris dans la recherche. On a dans les définitions générales celle de Facione & al. :
“La pensée critique est un jugement volontaire et réflexif qui se manifeste en considérant de manière raisonnée les preuves, le contexte, les méthodes, les standards et les conceptualisations afin de décider quoi croire ou quoi faire.”.
Définition issue d’un groupe de travail d’experte·e·s réunies pour faire une synthèse des différentes définitions existantes de l’esprit critique.1
La pensée critique ne se limite donc pas à ce qu’il est raisonnable de penser, mais inclut également une dimension d’action, de prise de décision sur ce qu’il est raisonnable de faire. La dimension essentielle est qu’on s’efforce à constamment évaluer les informations qui nous arrivent, et on cherche les meilleurs critères d’évaluations.
La pensée critique n’est pas là pour imposer des actions ou des croyances, puisqu’en situations concrètes le contexte social / économique peut jouer un rôle. Par exemple, si se vacciner demande un prix élevé, une personne pourrait vouloir se vacciner mais ne pas pouvoir, faute de moyens.
Plus spécifiquement, la notion d’esprit critique renvoie à un ensemble de compétences (savoir évaluer ou produire de bons arguments), et à un ensemble de dispositions, d’attitudes particulières (curiosité, être prêt à changer d’avis face à de bons arguments).
Parmi les dispositions à l’esprit critique, on trouve notamment :
- Curiosité, volonté de comprendre et de s’informer
- Ouverture d’esprit à divers points de vue et alternatives
- Tendance à prendre en compte les multiples aspects d’une situation
- Souci pour la véracité, recherche de précision et de clarté
- Honnêteté et humilité intellectuelle
- Propension à adopter une position ou changer d’avis en fonction des informations à disposition
Nous pensons que ça serait extrêmement bénéfique de développer la pensée critique d’un maximum de personne. Nous aimerions ainsi développer ce que Chomsky a décrit comme une « Autodéfense Intellectuelle », et comme les sports de combat ce n’est pas un outil fait pour attaquer les autres mais pour se donner du pouvoir d’agir. Si la recherche sur le sujet vous intéresse, l’association Ephiscience en a fait une synthèse à destination des enseignant·e·s (Pour la version présentée à l’école de la médiation, voir https://www.estim-mediation.fr/v2/wp-content/uploads/2022/11/Synthese-Esprit-critique-Version-2-Version-Finale.pdf).
Un point qui nous a apparu capital est que les chercheurs parlent plus de pensée critique (ou d’approches critiques) que d’esprit critique. Ceci pour dire qu’il n’y a pas d’un côté les gens qui aurait un esprit qui « fonctionne bien » dans le « le vrai », et de l’autre ceux qui seraient défaillants, contre « l’esprit critique » et auxquels on devrait apporter le vénérable esprit critique. Au contraire, la pensée critique est un ensemble de manière de réfléchir constamment en évolution, en mutation et jamais acquise pour de bon.
Le scepticisme (scientifique ?)
Depuis l’antiquité, les sceptiques sont une famille de pensée qui ont pour point commun de refuser les dogmes, les vérités absolues immuables. Dans la version antique, les sceptiques s’opposaient à ceux qui pensaient qu’on pouvait connaître la vraie nature des phénomènes, via un à la raison ou l’acte de foi.
Nous nous revendiquons de la version moderne du scepticisme, qui défend l’idée qu’il est possible de bâtir des connaissances vraisemblables, en gardant à l’esprit que ça reste toujours des connaissances « vraie jusqu’à preuve du contraire », toujours soumise à la critique. Bertrand Russel en a donné une définition : « Ne rien admettre sans preuve et suspendre son jugement tant que la preuve fait défaut ».2 on garde l’idée qu’on continue toujours de chercher, de s’interroger sur le monde.
Le rationalisme
Le rationalisme est également un courant de pensée qui a pu prendre beaucoup de formes aux travers des époques. Un de nos membres à fait un article qui résume toutes les définitions de rationnel/rationalité, et ça recouvre beaucoup de domaines différents.
Ce qui nous fait dire qu’on défend une forme de rationalisme moderne :
- On veut comprendre les causes qui entraîne les conséquences que l’on observe.
- On pense que pour connaître un phénomène, la raison seule ne suffit pas et il faut en passer par l’expérience.
- L’expérience de nos sens passe par une série de filtre (sélection, biais) et n’est donc pas absolue.
- On va approximer le réel par une série de théories testables et réfutables.
- On trouve que les théories les plus robustes sont produites dans le champ scientifique, notamment en raison de sa dimension auto-critique et collective.
- Les prétentions métaphysiques ne peuvent pas découler logiquement des connaissances scientifiques, ça inclût aussi des règles morales absolues.
- Citation : Facione, P. A. (2011). Critical thinking: What it is and why it counts. (Research Report). Millbrae, CA: The California Aca-demic Press. https://www.researchgate.net/publication/251303244_Critical_Thinking_What_It_Is_and_Why_It_Counts [↩]
- Bertrand Russell, Essais sceptiques. Traduit de l’anglais par André Bernard. Les Belles Lettres, pub. originale 1928, 264 p)), et beaucoup considèrent que cette attitude est un des fondements de la science : rien n’est postulé comme vrai par défaut.
Le scepticisme scientifique applique ce principe aux phénomènes en marge du champ scientifique : discipline dont la scientificité fait débat, phénomènes dit « paranormaux ». Il s’agit donc de ne pas se contenter d’une binarité « j’y crois/je n’y crois pas », limitée et vite dogmatique, mais d’essayer de fonder sa croyance sur des données les plus probantes possible.
Si dans le langage courant, un sceptique est quelqu’un qui refuse de croire par principe, on pense au contraire que c’est quelqu’un qui prône l’ouverture d’esprit, mais à juste besoin de preuves suffisantes pour croire à quelque chose.
Zététique ?
Au départ la zététique était l’investigation scientifique des phénomènes réputés « paranormaux ». Lorsqu’une personne ou une discipline à une prétention « extraordinaire » la zététique consiste à appliquer une démarche scientifique pour leur étude. Elle s’est ainsi beaucoup focalisée sur la démystification des pseudo-sciences : ovni, médecines alternatives, télépathie, etc.
L’idée derrière la zététique était de permettre de développer un « art du doute » (Henri Broch), c’est-à-dire être capable dans son quotidien de savoir suspendre son jugement en l’absence de preuves. Pour en savoir plus sur cette démarche, vous pouvez vous référer à quelques principes défendus régulièrement en zététique.
Plus récemment, la zététique a été présentée comme une manière de développer la pensée critique, de développer des compétences et des dispositions pouvant servir à moins se tromper dans la vie de tous les jours. En ayant confiance dans le fait que les exemples qu’on peut piocher dans les pseudo-sciences sont transférables à tous les autres aspects de la vie courante.
Si nous somme plusieurs à découvert l’épistémologie ou la pensée critique via la zététique, nous avons été plusieurs à abandonner le mot au fil du temps. Dans la tête de beaucoup de personnes il est associé à beaucoup de choses : scientisme, dogmatisme, rationalisme naïfs, techno-solutionniste, etc. Les principes zététique ne sont évidemment pas à jeter, mais on pense que le contexte d’application doit aussi être pris en compte.
Le mot zététique vient du grec zetein, « chercher ». Dans notre posture ((Pour plus de détails sur la posture qu’on souhaite adopter en tant qu’association, voir notre charte. [↩]
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