Un discours sur l’égalité homme-femme sur Mars

Lors d’une conférence récente, intitulée Biais cognitifs et traitement de l’information: Comment nos croyances façonnent notre réalité (Agenda) on a proposé un exercice qui combinait humour, esprit critique et déconstruction rhétorique.

On a voulu démontrer à quel point il est facile de générer un discours qui semble profond et engageant tout en étant, disons-le clairement, creux.

Pour illustrer ce phénomène on a utilisé un outil, Nebulo, développé pour générer ce type de discours sur demande.

Pendant la conférence après avoir demandé au public un thème, les propositions étaient aussi originales que stimulantes : l’égalité homme-femme, vivre sur Mars… puis un mélange audacieux des deux :

L’égalité homme-femme sur Mars.

Ce dernier sujet a été choisi, et voici ce qu’a donné la « belle » tirade :


« Mesdames et Messieurs, chères citoyennes et citoyens de Mars,

À l’aube de notre ère nouvelle sur cette planète rouge, il est temps de parler d’un sujet fondamental : l’égalité entre les hommes et les femmes. Sur Mars, nous avons l’opportunité en or de bâtir une société juste et équitable.

Il est indéniable que l’égalité des sexes est une valeur essentielle. Parler d’égalité, c’est aussi parler de progrès, et qui pourrait s’opposer au progrès ? Mais, permettez-moi de vous rappeler que l’histoire des hommes et des femmes sur Terre a été jalonnée de succès et d’échecs. Si nous apprenons des erreurs du passé, nous pourrons éviter de répéter les mêmes schémas. Prenons alors ferme position sur ce chemin laborieux et nécessité.

Alors, au lieu de mesurer l’égalité en actions concrètes, consacrons nos efforts à faire de l’égalité une belle idée, à la mode, un concept à porter avec fierté au sein de nos discours. Qui pourrait s’opposer à être en faveur de l’égalité ? N’oserions-nous pas incarner cette vision ambitieuse d’un futur radieux ?

Souvenons-nous que chaque progrès a ses péripéties. Laissons à l’avenir le soin de prouver que nos belles paroles feront bien les choses. Ensemble, empruntons le sentier lumineux de l’égalité qui, j’en suis sûr, nous mènera vers des horizons éclatants. Merci ! »


Voici une analyse des techniques rhétoriques et des biais mobilisés dans le discours que j’ai présenté :

L’accroche et la mise en scène :

  • Usage d’une introduction solennelle : L’évocation d’une « ère nouvelle sur une planète rouge » pose un cadre grandiose et symbolique, créant une ambiance propice à l’adhésion.
Exemple : Une entreprise lançant un produit innovant peut utiliser des termes comme « révolutionnaire » ou « une nouvelle ère » pour capter l’attention et créer une attente.
  • Engagement implicite : En s’adressant au public comme ‘citoyennes et citoyens de Mars’, le discours les engage en les plaçant dans un cadre futuriste, leur donnant un rôle actif dans une société hypothétique. Cette technique, tout en stimulant l’imagination, vise à susciter une identification avec le discours, créer un lien émotionnel et social.
Exemple : Dans un contexte politique, l’adresse directe à l’audience, comme « Mes chers compatriotes », renforce aussi le lien émotionnel et le sentiment d'appartenance.

Appel à des valeurs universelles :

  • Le discours fait appel à des concepts universellement valorisés comme ‘l’égalité’ et ‘le progrès’. Bien que ces valeurs soient généralement acceptées et difficiles à contester, leur utilisation sans une définition claire et sans mesures concrètes peut réduire le discours à des platitudes.
  • Il est crucial de spécifier ce que l’on entend par ces termes dans le contexte spécifique pour éviter une adhésion superficielle basée uniquement sur l’attrait émotionnel des mots.
Exemple : Un politicien affirmant « Nous devons défendre la liberté et la justice » sans préciser les actions envisagées.
  • Technique rhétorique : appel aux émotions positives. Qui pourrait s’opposer à une société « juste et équitable » ?

Effet Barnum et validation personnelle :

  • Le discours utilise des phrases suffisamment vagues et universelles pour que chacun puisse s’y retrouver (« Apprenons des erreurs du passé », « Ensemble, empruntons le sentier lumineux… »).
  • Pour plus d’informations sur cet effet, visitez la page Wikipédia correspondante: https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Barnum
Exemple : Les horoscopes qui décrivent des traits de personnalité généraux, comme « Vous êtes une personne qui aime la tranquillité, mais vous savez aussi être énergique quand il le faut ».

L’illusion de profondeur :

  • Les phrases sont volontairement riches en adjectifs valorisants (« ambitieux », « radieux », « éclatants ») mais manquent de contenu pratique ou d’exemples concrets.
Exemple : Des slogans publicitaires comme « Ensemble pour un avenir meilleur » qui semblent inspirants mais restent vagues.

L’ambiguïté performative :

  • Le passage « consacrons nos efforts à faire de l’égalité une belle idée » expose une critique implicite de ceux qui préfèrent les mots aux actes. Cette ambiguïté peut être perçue comme ironique ou comme un aveu.
Exemple : Des discours d’entreprises qui promettent des engagements écologiques sans actions concrètes immédiates (greenwashing).

L’ambiguïté performative dans le discours s’exprime par des appels à des actions floues, qui ne sont souvent accompagnées d’aucune stratégie ou mesure concrète.

Cette technique rhétorique consiste à évoquer des intentions nobles ou des idéaux élevés sans s’engager dans des plans d’action précis, laissant ainsi une porte ouverte à l’interprétation et à la critique pour manque de substance pratique.

Visions idéalisées sans plans concrets / Biais d’optimisme :

  • Le discours utilise souvent des projections comme « un futur radieux » ou « horizons éclatants » qui jouent sur l’espoir et les émotions pour captiver l’audience. Cette approche, bien qu’engageante, manque de mesures pratiques pour concrétiser ces visions, créant un fossé entre les promesses et la réalité tangible.
  • Cette stratégie rhétorique, en mettant l’accent sur des bénéfices futurs idéalisés sans aborder les défis concrets ou les étapes nécessaires, risque de conduire à une procrastination rhétorique où les promesses éloquentes ne sont pas suivies d’actions concrètes.
Exemple : 

Une campagne politique qui promet des « lendemains qui chantent » sans expliciter les moyens d’y parvenir.

Une entreprise annonçant devenir neutre en carbone d'ici 2050 sans plan détaillé, utilisant ces déclarations comme ameçonnage sans engagements concrets.

Une expérience révélatrice

Cette expérience illustre à quel point un discours bien formulé peut paraître engageant même lorsqu’il est dénué de contenu substantiel. Pourquoi ce type de discours captive-t-il autant ?

Parce qu’il résonne avec des valeurs partagées et des aspirations communes.

En jouant sur des émotions positives et des concepts consensuels, il masque son manque de profondeur.


Comment différencier fond et forme dans les discours ?

Ce type de rhétorique pose plusieurs questions cruciales :

  • Comment s’assurer que les discours, même lorsqu’ils suscitent des émotions positives, ne remplacent pas l’action concrète et la réflexion critique ?
  • Jusqu’à quel point peut-on mobiliser des symboles et des métaphores sans perdre de vue l’importance des faits et des données tangibles ?
  • Dans quelle mesure sommes-nous, en tant qu’auditeurs, responsables de demander des précisions et des engagements clairs ?

Face à ce genre de discours on peut alors se demander :

👉Quelles actions concrètes découlent de ce discours ?

👉Quels indicateurs permettraient d’évaluer son impact réel ?


Un discours creux peut-il être utile ?

Un discours qui peut sembler creux, a tout son potentiel si suivi d’actions concrètes. Ce type de discours, s’il reste seul, comme dans ce cas, peut être problématique car il montre un écart entre les promesses et les actions.

Cependant, des phrases générales ou vagues en début de discours ne sont pas nécessairement mauvaises si elles introduisent des plans détaillés et spécifiques.

Un discours peut captiver l'auditoire grâce aux techniques présentées et préparer le terrain pour une annonce plus détaillée. 

Si ce discours est ensuite accompagné de mesures concrètes, il devient une stratégie efficace pour engager et motiver. 

Ce qui compte, c'est la suite donnée aux mots : les actions qui suivent doivent confirmer et renforcer les intentions énoncées.

De plus, malgré son absence de contenu concret, ce discours a su ouvrir des pistes de réflexion fascinantes :

👉 Et si partir de zéro, sur une planète comme Mars, ou même en repensant nos sociétés actuelles, permettait de construire des bases plus neutres et équitables ?

👉 Comment appliquer ces idées dans des contextes réels, ici sur Terre, où les structures existantes sont souvent difficiles à transformer ?

👉 Est-il possible de créer un cadre où les actes et les idées progressistes se renforcent mutuellement, sans tomber dans la simple déclaration d’intentions ?

Il semble donc, par honnêteté raisonnable, d’affirmer que même un discours creux peut servir de point de départ à une réflexion.


La pensée critique comme outil de construction

Ce discours illustre un point supplémentaire : la pensée critique ne consiste pas seulement à déconstruire, mais aussi à reconstruire sur des fondations solides. Elle invite à aller au-delà des mots pour poser les bases d’une action effective et mesurable.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

  • Peut-on vraiment repartir de zéro ?
  • Quelles sont les conditions pour qu’un discours mène à des actions concrètes et durables ?
  • Quels garde-fous mettre en place pour éviter que les beaux discours ne détournent l’action réelle ?

👉 En posant ces questions, l’article ne cherche pas immédiatement des réponses, mais vise plutôt à encourager une réflexion critique plus profonde sur la manière dont les discours sont construits et reçus.

N’hésitez pas à partager vos expériences et réflexions sur ces questions. Ensemble, cultivons une vigilance critique face aux discours et apprenons à construire des sociétés plus justes et équilibrées, sur Mars ou ailleurs !


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